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Donner c'est donner...sauf exceptions

Il n’est pas possible de donner….et de retenir. Toutefois, lorsque le donataire ne respecte pas les charges contenues dans une donation ou lorsqu’il se montre ingrat envers le donateur, la donation peut être annulée. Deux arrêts récents rendus par la Cour de cassation nous donnent l’occasion de faire le tour de la question.

Principe d’irrévocabilité et clauses compatibles :

L’irrévocabilité des donations est expressément prévue par la loi (c. civ. art. 894).

La méconnaissance de cette règle entraine, sauf exceptions, la nullité absolue de la donation.

Néanmoins, certaines clauses sont compatibles avec ce principe d'irrévocabilité. Ainsi, l'article 949 du code civil autorise-t-il les clauses de réserves d'usufruit très utilisées en pratique. Le donateur peut également stipuler un droit de retour des biens donnés soit pour le cas de prédécès du donataire seul, soit pour le cas de prédécès du donataire et de ses descendants (c. civ. art. 951).

Enfin, des clauses d'inaliénabilité peuvent être prévues stipulant, par exemple, que durant la vie du donateur, le bien donné sera inaliénable, sans remettre en cause la donation (c. civ. art. 900-1).

Les causes légales de révocation (c. civ. art. 953) :

L’inexécution des charges contenues dans une donation (par exemple, l’obligation pour les donataires d’entretenir les donateurs, de les loger, nourrir et soigner) entraîne la révocation de la donation sous certaines conditions (c. civ. art. 954).

De même, sil elle est prévue par l’acte de donation lui-même, la survenance d’un enfant peut constituer une cause de révocation (c. civ. art. 960).

Enfin, la donation peut être révoquée judiciairement pour ingratitude du donataire à l’encontre du donateur (c. civ. art. 955).

Les cas d’ingratitude sont limitativement énumérés :

-le donataire a attenté à la vie du donateur ;

-il s'est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ;

-il lui refuse des aliments.

Qui peut agir en révocation d’une donation d’œuvre d’art pour inexécution des charges ? :

Les faits

Une personne donne à une association 14 de ses œuvres en précisant, par lettre adressée à son vice-président, que « ces œuvres ne pourront en aucun cas être revendues et qu’elles ne pourront être utilisées que pour des accrochages ou des expositions à caractère non commercial et non publicitaire ».

Le donateur décède laissant pour recueillir sa succession son épouse survivante, attributaire de la pleine propriété de la communauté universelle et usufruitière des droits patrimoniaux d’auteur et ses 5 enfants qui ont reçu la nue-propriété de ces droits et le droit moral.

Ayant découvert que l’une des œuvres données allait faire l’objet d’une vente aux enchères publiques, l’épouse survivante a assigné l’association en révocation de la donation au motif que la volonté de son époux tenant à l’absence de revente des œuvres ou à leur exposition n’avait pas été respectée.

La donation portant sur des biens corporels, l’épouse survivante a qualité pour agir

La Cour d’appel déclare irrecevable la demande de l’épouse survivante au motif que les charges invoquées ne relèvent pas de la propriété matérielle des œuvres et ne peuvent être assimilées à des charges grevant des donations portant sur des biens matériels mais relèvent du droit moral de l’artiste, de sorte que l’action n’appartenait qu’aux enfants.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel. Selon elle, la donation portant sur des biens corporels, l’épouse survivante avait qualité pour agir, cette action pouvant être intentée par le donateur ou ses héritiers (cass. civ., 1re ch., 16 janvier 2019, n°18-10603).

Quid de l’ingratitude du donataire à l’encontre d’une société dont le donateur est associé ?

Les faits

Deux époux ont consenti à leurs 2 enfants une donation-partage incorporant plusieurs donations antérieures. Aux termes de celle-ci, il a été attribué au fils 66 % des actions d’une société holding constituée par le père détenant des participations dans plusieurs sociétés.

Suite à la condamnation du fils pour abus de biens sociaux, abus de confiance et complicité d’abus de confiance au préjudice de la société holding et de ses filiales, les donateurs ont assigné leur fils en révocation de la donation consentie par eux pour ingratitude.

Ils faisaient notamment valoir que leur fils avait manqué de reconnaissance envers eux et que le détournement des fichiers clients de la société holding avait notamment concrétisé son intention de concurrencer, par des moyens illicites, l’activité des sociétés créées par son père.

Pas de révocation si les faits d’ingratitude sont commis, non pas à l’encontre du donateur, mais à l’encontre d’une société dont il est associé

Selon la Cour de cassation, le donataire a été condamné pour des infractions commises au préjudice de la société holding et de ses filiales et non pour des faits commis envers les donateurs. Il en résulte que ces délits ne sont pas de nature à constituer l’une des causes légalement prévues pour ingratitude à l’article 755 du code civil (cass. civ., 1re ch., 30 janvier 2019, n°18-10091).

Enfin, la Cour de cassation rappelle que lorsque l’action en révocation pour ingratitude est admise, le point de départ du délai pour agir est fixé dans l’année à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour que le délit aura pu être connu par le donateur (c. civ. art. 757). Toutefois, lorsque le fait invoqué constitue une infraction pénale, le point de départ du délai d’exercice de l’action est reporté au jour où la condamnation pénale est devenue définitive, à condition que le délai d’un an prévu à l’article 757 du code civil n’était pas expiré lors de la mise en mouvement de l’action publique par le donateur.

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