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Rupture du contrat de travail

La force majeure peut-elle être reconnue parce que l'entreprise n'a plus le droit d'exercer son activité ?

La force majeure permet à l'employeur de s'exonérer de tout ou partie des obligations nées de l'exécution d'un contrat de travail et notamment de rompre le contrat de travail de plein droit sans procéder à un licenciement. Peut-il avancer cet argument lorsque l’entreprise est interdite d’exercer son activité pendant 5 ans ? Oui, mais il devra démontrer la force majeure, le seul constat de l’interdiction d’exercer ne suffit pas contrairement à ce qu’avaient estimé les juges du fond.

Force majeure - rappel

Une définition légale. - Depuis le 1er octobre 2016, la force majeure est reconnue en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur de l’obligation, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation (c. civ. art. 1218).

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue sauf si le retard qui en résulterait justifie la résolution du contrat.

Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et l’employeur et le salarié sont libérés de leurs obligations (c. civ. art. 1218).

Avant le 1er octobre 2016, la force majeure était définie par la jurisprudence. Les juges avaient défini la force majeure en droit du travail, comme un événement imprévisible, irrésistible et extérieur ayant pour effet de rendre impossible l’exécution du contrat de travail et entraînant sa rupture sans qu’il y ait licenciement ou démission (cass. soc. 12 février 2003, n° 99-42985, BC V n° 50).

Des effets spécifiques en matière de rupture du contrat de travail. - Lorsque l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations (c. civ. art. 1218). L’employeur a juste à constater la rupture du contrat pour force majeure. Il n’a pas à mettre en œuvre la procédure de licenciement (cass. soc. 19 novembre 1980, n° 78-41574, BC V n° 834).

Le contrat de travail se trouve rompu dès que l’état de force majeure est constaté, sans préavis, sauf disposition conventionnelle ou contractuelle particulière (c. trav. art. L. 1234-12).

Force majeure liée à une interdiction d’exercer d’une durée de 5 ans

Les faits. - Un salarié avait été embauché en CDD, comme agent d'accueil et physionomiste, puis en CDI comme agent de sécurité. Le 16 décembre 2013, la commission interrégionale d'agrément et de contrôle avait prononcé à l'égard de la société qui l’employait une interdiction d'exercer une activité privée de sécurité pendant une durée de 5 ans.

Le 24 avril 2014, la société avait été placée en liquidation judiciaire et le 27 août 2015, le liquidateur judiciaire avait notifié au salarié son licenciement pour motif économique.

Le salarié réclamait des salaires pour la période du 16 décembre 2013 au 24 avril 2014.

La force majeure était-elle constituée ? - À l’époque des faits, il n’y avait pas de définition légale de la force majeure. L’interdiction d’exercer dont avait été frappée la société employeur relevait-elle d'un événement imprévisible, extérieur et irrésistible ayant pour effet de rendre impossible l'exécution du contrat ? L’employeur pouvait-il s’appuyer sur cet argument pour ne pas payer les salaires réclamés ?

Oui, pour la cour d’appel qui estimait qu’après le 16 décembre 2013, la société n'avait plus le droit de fournir du travail au salarié.

Non pour la Cour de cassation qui relève que la cour d’appel n’a pas caractérisé que l'interdiction d'exercer une activité privée de sécurité pendant 5 ans, prononcée à l'encontre de la société le 16 décembre 2013, constituait un événement extérieur et imprévisible rendant impossible la poursuite du contrat de travail et permettant à l'employeur de s'exonérer du paiement du salaire dû au salarié.

En effet, le caractère temporaire de l’interdiction – d’une durée de 5 ans cependant – peut, à notre sens, poser question quant à l’irrésistibilité de l’évènement. Dans le passé face à des évènements tels que le passage d’un cyclone ou un incendie des locaux, la force majeure n’était reconnue que si la destruction de l’entreprise était totale sans réexploitation possible ou envisageable (cass. soc. 12 février 2003, n° 01-40916, BC V n° 50) et il revenait à l’employeur de prouver l’impossibilité de poursuivre l’exploitation de l’entreprise (cass. soc. 10 mai 2006, n° 04-46067 D).

À noter, pour rappel, que c’est à celui qui invoque la force majeure d’en rapporter la preuve (cass. soc. 6 juin 1984, n° 82-40797 D).

L’affaire est donc renvoyée devant une cour d’appel qui devra apprécier si l’employeur s’était trouvé dans un cas de force majeure donc, selon les règles applicables à l’époque des faits, face à un évènement imprévisible, extérieur et irrésistible.

Cass. soc. 11 mai 2022, n° 20-18372 D